Raging Bull, de Martin Scorsese (1980)

Publié le par Kevin Verdure

Jake LaMotta, surnommé d’abord « The Bronx Bull »   (Le taureau du Bronx) en raison de son agressivité sur le  ring avant d’être rebaptisé « The raging bull », a connu une vie bien mouvementée. Cette agressivité au combat, c’est d’ailleurs dans un centre de correction que le boxeur l’a intériorisée. Il a même connu la prison après avoir payé une mineure pour un strip-tease. S’il ne faisait pas l’unanimité en tant que personne, il n’en demeurait pas moins une véritable bête du ring. Jake LaMotta, c’est 106 combats disputés, 83 remportés dont 3O par K.-O et un titre du champion du monde des poids moyens acquis en juin 1949 face au français Marcel Cerdan.


Il y avait donc bien matière à filmer, à condition que ce soit un bon réalisateur qui décide de porter à l’écran la vie de cette personnalité hors du commun. Et ce fut le cas. Enfin, pas tout à fait. Car affirmer que Scorsese est un bon réalisateur, même le plus hargneux des critiques cinématographiques ne pourrait pas se le permettre. Il est plutôt question, ici, de parler de génie, ou des top 5 des meilleurs réalisateurs de l’histoire du cinéma. Pourtant, au moment où il tourna Raging Bull, Il n’avait pas encore acquis ses galons de grand maître. Ce film l’y aida. En effet, non seulement Martin Scorsese prouva à nouveau qu’il savait raconter le destin d’un homme, mais il révolutionna également la manière de filmer les combats de boxe. Une vraie leçon de cinéma.


Abordons tout d’abord ces matchs face auxquels il est difficile de rester de glace. Dès le départ, Scorsese décida de placer sa caméra presque sur l’épaule des boxeurs. Alternance de gros plans et de plans rapprochés, en utilisant un montage très serré, en se servant habilement de la bande-son (y compris dees silences), en incorporant par moment des ralentis…le tout contribua à créer une ambiance jamais vue, dans un noir et blanc magnifié. L’objectif du cinéaste était de réaliser des scènes de combat mettant les spectateurs à la place du boxeur afin qu’ils ressentent les mêmes impressions, qu’ils sachent ce qu’il pense, ce qu’il entend. Une finalité réussie, puisque chacun des coups portés à l’acteur nous atteint de plein fouet.


De plus, Scorsese travailla de façon à ce que les matchs ne soient pas filmés de la même manière. Il construisit chacun d’eux en fonction de l’état d’esprit de LaMotta, se servant par exemple de fumée pour indiquer le flou de l’esprit du boxeur ou en agrandissant le ring pour accentuer un sentiment de solitude.


Symbole du professionnalisme du réalisateur, chacun des combats mis en scène par celui-ci furent chorégraphiés de manière précise, tant au niveau des acteurs qu’au niveau des caméras qui obéirent à un ballet parfaitement ordonné. Pour certains d’entre eux, Scorsese dessina même un story-board extrême détaillé. Pour d’autres, notamment celui opposant le taureau du Bronx au français Dauthuille, le cinéaste utilisa des films d’époque et demanda à ses interprètes de reproduire fidèlement chacun des gestes clés. Quant au son si particulier des coups, il fut obtenu en frappant des tomates contre des melons !


Mais la boxe ne fut pas le sujet principal de ce film. Scorsese préféra dresser le portrait d’un homme qui se précipite dans une forme d’autodestruction. (Raison pour laquelle, entre autres, ce film ne figure pas parmi la liste des « success stories ». C’est tout l’inverse, on n’y parle pas d’ascension, mais de descente en enfer). Du coup, les matchs passent presque au second plan, paraissant même rapidement traités. Pourtant, ils sont bien là et émaillent le film de moments ‘choc’ qui éclairent la véritable personnalité de Jake LaMotta.

Ainsi, treize combats au total sont évoqués, pour lesquels les boxeurs ont été incarnés par de vrais professionnels du ring. Bien que secondaires dans le scénario, Scorsese peaufina tous ces matchs à l’extrême, leur consacrant un temps record.   En fait, le tournage fut divisé en deux parties : dix semaines de scènes de combat, et dix autres semaines pour le reste. Scorsese trouva d’ailleurs assez amusant de voir avec quelle harmonie se sont déroulées les dix semaines de tournages qui ont suivi celles des combats, tant les scènes de boxe étaient dures et contraignantes. Les séquences auraient pu être tournées toutes en une semaine à six caméras, mais une seule a suffi. Même si ce fut plus difficile pour De Niro, le résultat révéla des scènes réussies, car minutieusement chorégraphiées.  

Attardons-nous d’ailleurs sur la performance de cet acteur. Car outre le travail de Scorsese, la qualité de ces matchs doit aussi beaucoup à leur interprète. Robert De Niro s’est investi dans ce film comme aucun acteur avant lui. Bien sûr, il s’entraîna avant d’apparaître devant la caméra, à l’instar d’Errol Flynn dans Gentleman Jim, mais lui le fît pendant dix-huit mois d’affilée. Un travail de titan placé sous la direction d’Al Silvani (qui s’était occupé de Jake LaMotta lui même, ainsi que de Sylvester Stallone pour Rocky). Mais De Niro alla encore plus loin. Pour connaître les pensées d’un boxeur sur le ring, il demanda à disputer de vrais matchs amateurs à Brooklyn. A noter que sur les trois combats qu’il s’est imposé, l’acteur en a remporté deux ! Du coup, il put faire preuve d’une incroyable rapidité d’action sur le tournage.


De plus, pour la dernière partie du film, l’acteur suivit un régime à base de pâtes qui lui fit atteindre les 107 kg. Il refusa d’aller plus loin pour cause de problèmes repiratoires.

Enfin, il rencontra Jake LaMotta à de nombreuses reprises et pendant toute la durée des prises de vues, les deux hommes devinrent bons amis. Une relation qui aida clairement De Niro dans l’interprétation de ce personnage.

Cette performance étonna la critique du monde entier. Michel Cieutat et Christian Viviani, auteurs du livre « De Niro-Pacino, Regards croisés »  des éditions Nouveau Monde (2005) déclarèrent : « La qualité de jeu de De Niro ne se limite toutefois pas à sa prestation physique. La perfection de son accent du Bronx, la maestria dont il fait preuve dans les scènes improvisées avec Joe Pesci, la grande signifiance de ses regards primitifs jaloux qui n’arrive pas à savoir si sa femme le trompe effectivement, ses rires franchement imbéciles, son tic qui consiste à remonter son pantalon à tout moment de la même façon qu’il surveille la hauteur de son short sur le ring ou encore ses longues pauses faciales impassibles font de cette interpretation hors-pair l’une des plus marquantes de tout le cinéma américain. Et sans doute mondial »[1].

Mais Robert De Niro se trouve également à la racine du projet. C’est lui qui, sur le tournage du Parrain 2, s’intéressa à l’autobiographie de LaMotta. C’est aussi lui qui suggéra à Scorsese de demander au scénariste Paul Schrader d’en tirer une adaptation. Il participa également à la réécriture du scénario afin de rendre le personnage plus humain et engagea lui-même Joe Pesci, entrevu dans un téléfilm sur la mafia. Bref, tout ceci pour dire qu’il s’impliqua du début à la fin de Raging Bull.


A l’inverse, Scorsese fit figure de frein. Il ne s’enthousiasma pas immédiatement. Poussé par De Niro, il accepta d’assister à plusieurs matchs de boxe. Mais le cœur n’y était pas et il préféra se consacrer au tournage de New York New York dont l’échec commercial calma les ardeurs du cinéaste. Les studios lui firent de moins en moins confiance et refusèrent de lui confier des budgets importants. Eux non plus n’étaient pas emballés par un film sur Jake LaMotta, la boxe étant désormais le domaine de Stallone via son personnage de Rocky.

Or, deux hommes firent pencher la balance en faveur de Scorsese et De Niro : Irwin Winkler et Robert Chartoff qui étaient justement les producteurs de Rocky. Stallone dira d’ailleurs d’eux qu’ils sont « Les derniers cow-boys d’Hollywood », en référence à leur aptitude à faire confiance aux projets qui ne promettent pas, à la base, un succès commercial détonnant. Les producteurs s’intéressèrent à Jack LaMotta et s’annoncèrent prêts à produire le film. Cela modifia la donne et convainquit les studios United Artists de participer à l’aventure. Scorsese, quant à lui, finit par prendre goût au projet, et manqua, par la même occasion, de se faire étrangler quand il leur déclara qu’il tournerait le film en noir et blanc ! Scorsese, à ce moment, n’avait pourtant pas besoin de ça. Il fut victime, l’année d’avant, d’une grave hémorragie interne. Etonnamment, au lieu de l’éloigner du projet, cela l’en rapprocha. Il eut en effet le temps d’étudier la vie de LaMotta, son personnage, et de mieux comprendre ses motivations.


Car Raging Bull traite donc du destin d’un homme. Un homme qui est à la fois une ‘tête de mule’ et une ‘tête en béton armé’, grâce à laquelle il a réussi à encaisser uppercuts, crochets et swings sans jamais broncher. Associé à son punch dévastateur, il avait tout pour réussir dans la voie violente qu’il avait lui-même tracée. Seulement, cet homme là est mal dans sa peau, passe sa vie à regretter et à s’inquiéter. Il regrette de n’être qu’un poids moyen et de ne pas pouvoir combattre les grands champions que sont les poids lourds. D’un tempérament incroyablement jaloux, il s’inquiète du comportement de sa deuxième femme. Enfin, son caractère impulsif le pousse à hurler sur tout ce qui bouge, y compris sa femme et son frère avec lequel il finit par couper les ponts. Dès lors, son ascension jusqu’au titre de champion du monde ressemble plutôt à une descente aux enfers. Il finit par baisser les bras et se retrouve en Floride à débiter des blagues douteuses dans son club pas vraiment chic. C’est là qu’il continue de s’enfoncer, voit sa femme partir avant que la police ne l’arrête pour détournement de mineure. A sa sortie de prison, il reprend la tournée des cabarets minables.   


Jake LaMotta ne fait rien pour être aimé et se complique tellement la vie qu’il finit par être rejeté par tous. Il est devenu l’antihéros absolu, celui qui gâche son potentiel, celui que l’on aime détester.


Pour conclure, il serait  intéressant de savoir ce que le vrai Jake LaMotta a pensé de ce film. Mais, bien qu’ayant apprécié le travail de Scorsese avec lequel il est d’ailleurs resté ami, il fut tellement choqué qu’on n’en saura pas grand-chose. C’est grâce à son ancienne femme qu’on en apprendra davantage, suite à son témoignage dans le livre « The cinema of Robert De Niro » de James Cameron Wilson paru aux éditions Terrain Vague (1988) : « Jake avait énormément travaillé avec De Niro dès la préparation du film mais il ignorait quelle image Scorsese allait donner de lui. […] Ce qu’il regrette le plus, c’est de ne pas avoir été montré comme un bon père. Il aimait vraiment ses enfants. […] Il est resté ami avec Marty Scorsese parce qu’il a compris son travail. Après tout, Raging Bull était le reflet de sa vie, une sorte de confession. Après avoir vu le film, il m’a dit de son personnage : ‘Je n’aime pas cet homme-là’. Il était très bouleversé d’avoir été comme cela. […] Malgré tout, Jake aime toujours le film. Il en perçoit l’honnêteté et la bonté. Mais il en souffre toujours ».[2]


Raging Bull



[1] DURANT, Philippe. La boxe au cinéma, Editions Carnot, 2004, France, p.44

[2] DURANT, Philippe. La boxe au cinéma, Editions Carnot, 2004, France, p.47-48

a logiquement été récompensé sur la scène internationale. Et pas qu’un peu : Oscars du meilleur acteur et du meilleur montage, nominations aux Oscars du meilleur second rôle masculin, meilleur second rôle féminin, meilleur film, meilleur réalisateur, meilleure photographie et meilleur son…sans oublier que de nombreux journalistes l’ont élu meilleur film de la décennie.

Publié dans ciné: boxe

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article